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Eaux troubles - Participation, transparence et immobilier sur le front de mer de Belgrade

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Don't let Belgrade D(r)own (Courtesy of Ne Davimo Beograd)

Eaux troubles - Participation, transparence et immobilier sur le front de mer de Belgrade

27-06-2018

L'initiative serbe «Ne laissez pas Belgrade tomber/se noyer» [Don’t let Belgrade d(r)own] (Serbe: Ne Da(vi)mo Beograd (NDB)) change la façon dont les Serbes conçoivent la transparence ainsi que le rôle des citoyens dans les projets de développement urbain. L'initiative a été déclenchée par le controversé projet intitulé « front de mer de Belgrade » [Belgrade Waterfront] de 2014, le plus grand projet de développement de l'histoire de la Serbie, qui a été annoncé être financé par un milliardaire basé à Abu Dhabi. Le projet Front de mer vise à reconstruire le paysage urbain de Belgrade en appartements de luxe, gratte-ciels et hôtels cinq étoiles.

La planification du projet a été vivement critiquée lorsque les détails de ce projet à plusieurs milliards de dollars ont été gardés secrets et qu’une démolition nocturne inhabituelle a eu lieu sur le site du projet. Depuis lors, un nombre croissant de Belgradois exigent que les citoyens soient consultés et entendus sur les grands projets de développement urbain. Plus de 20 000 personnes sont descendus dans la rue, arborant le célèbre logo du canard, pour contester la façon dont les citoyens sont exclus des grands projets d'investissement et de développement.

Democracy International a interviewé Dobrica Veselinovic, organisatrice du projet “Ne laissez pas Belgrade tomber/se noyer” [Do not Let Belgrade D(r)own] (NDB).

DI : Parlez-nous du contexte de l'initiative et des facteurs qui l'ont motivée.

NDB : Le site du projet proposé se trouve à Savamala, une partie de Belgrade qui est située au centre ville, derrière les gares ferroviaires et routières, et qui est l'une des parties inutilisées de la ville avec le potentiel de développement le plus prometteur.

En 2012, notre actuel président Aleksandar Vucic, alors candidat à la mairie de Belgrade, a fait une croisière sur la Sava avec l'ex-maire de New York, Rudy Giuliani et a présenté pour la première fois des idées pour le projet Front de mer [Waterfront]. Mais aucune information supplémentaire sur le projet n'a été rendue publique. C'était l'un des premiers indicateurs que quelque chose d'important allait se produire dans notre ville.

En 2014, Vucic a réussi à prendre le pouvoir au niveau fédéral en tant que Premier ministre de Serbie. Le gouvernement a profité du fait que les autorités municipales de Belgrade soient temporaires à l'époque, et a déclaré qu'il commencerait le développement du projet Front de mer. Il a commencé avec des modifications du plan général d'aménagement urbain de Belgrade, sans consultation du public. Le projet a été classé comme étant d'importance nationale afin de pouvoir contourner les obstacles bureaucratiques. Il n'y a eu aucun processus d'appel d'offres ou concours obligatoire pour la conception architecturale. Ce fut pour nous le premier signal qu’il fallait organiser une lutte contre ce processus opaque, et impliquer les citoyens dans celle-ci. Nous avons commencé par les étapes de base : déposer une plainte officielle au sujet des changements apportés aux plans de développement urbain, exercer des pressions au niveau institutionnel, demander des audiences publiques. Nous avons invité les citoyens de Belgrade à rédiger collectivement des plaintes contre le plan. Nous avons déposé plus de 2 000 plaintes, mais toutes ont été rejetées. 

De plus, quand il est devenu clair que le gouvernement serbe enfreignait ses propres lois et codes du bâtiment, sa stratégie principale a consisté à modifier en profondeur les lois et procédures afin qu’elles ne soient pas un obstacle à la réalisation du projet. Cela était pour nous un signal supplémentaire que le projet se déroulait à huis clos. À ce moment-là, nous n'avions aucune analyse financière concrète liée au projet Front de mer. Nous n'avions que de vagues promesses de gros investisseurs, par exemple un individu des Emirats Arabes Unis qui s’était engagé à investir 2 à 3,5 milliards d'euros.

Nous avons ensuite organisé de petits spectacles, comme un chant lors de l'audition publique du plan. En 2015, le gouvernement a introduit une loi spéciale pour l'expropriation des terres dans cette zone, par conséquent nous avons organisé la première manifestation avec comme symbole le grand canard jaune. Peu à peu notre mouvement est également devenu un exemple car ce projet a montré que les villes ne devraient pas être développées sans consultation du public ou calcul des avantages sociaux. C'est un exemple de la façon dont les communautés locales perdent leur emprise sur leurs quartiers au profit d’institutions qui détiennent un pouvoir financier sur ceux-ci. La préparation sur le terrain était pleinement opérationnelle en 2015. La ville a commencé à retirer les voies ferrées et a expulsé environ 200 familles qui y vivaient. Tout cela sans contrat !

En 2015, un contrat a été signé. Cependant, celui-ci n’a été divulgué que 6 mois plus tard et le jour de la Gay Pride de Belgrade. Malheureusement, des hooligans cherchent généralement à faire cesser le défilé, ce qui constitua une distraction parfaite. Notre analyse du contrat a révélé que le gouvernement fournissait gratuitement 100 hectares de terrain, qu'un investisseur inconnu contribuait à hauteur de 150 millions d'euros environ, et que la majeure partie de l'investissement global provenait d'une entreprise nouvellement créée à Abu Dhabi. Le contrat a également révélé que le gouvernement était contraint de ne pas modifier les lois et procédures qui pourraient nuire au projet. Fondamentalement, il donnerait la gouvernance de cette terre à une société étrangère nouvellement formée.

DI: Comment le NDB a-t-il réagi et quelle a été la réponse du gouvernement à vos réactions?

NDB: Nous avons élargi l'initiative à un noyau d'organisateurs d'environ 20-30 personnes, mais notre cercle plus large comprenait des volontaires d'environ 200-300 personnes. Nous avons protesté le jour où le contrat a été signé. Nous avons protesté lorsque la première cérémonie d'inauguration a eu lieu. Ce que ces manifestations ont révélé, c'est que le gouvernement utilise largement la police pour empêcher toute résistance au projet. Nos plus grandes manifestations ont réuni environ 20 000 personnes. Le jour de la signature du contrat, les forces de police ont arrêté deux trains entièrement opérationnels afin d’obstruer la vue du maire, des ministres et d'autres fonctionnaires qui signaient le contrat aux personnes manifestant de l'autre côté de la rue. Ultérieurement, leur volonté d’empêcher toute opposition visible au projet est apparu évidente.

La nuit des élections législatives du 24 avril 2016 a constitué un tournant et a inspiré une véritable révolte. Alors que tout le monde regardait les résultats des élections, un groupe d'une trentaine d'hommes masqués a commencé à démolir une partie du projet,  dans le quartier de Savamala.

Les résidents ont appelé la police pour signaler la démolition nocturne, mais la police n'a pas réagi le moins du monde. Cela a déclenché plus de 10 manifestations massives à Belgrade, demandant la démission des responsables municipaux et du chef de la police. La population voulait voir la responsabilité politique, elle voulait que ceux ayant participé à la démolition nocturne fassent l'objet de poursuites, et que la lumière soit faite sur ce qui s’était passé cette nuit là.

La démolition du Savamala continue d’être l'un des thèmes de la sphère publique que nous abordons régulièrement. Après avoir réalisé que nos actions via notre lutte institutionnelle avec les plaintes et les affaires judiciaires ne fonctionnaient pas et que notre stratégie consistant en des manifestations de masse n'aboutissait à aucun résultat, nous avons décidé de nous présenter aux élections pour l'assemblée municipale de Belgrade. Nous nous sommes organisés en liste de citoyens indépendants pour les élections de mars 2018. Nous avons reçu 3,5% des voix (30 000 personnes), malheureusement sous le seuil de 5%, toutefois nous considérons que cela est un succès étant donné la couverture médiatique limitée de notre initiative.

DI: Pourquoi pensez-vous que les habitants de Belgrade étaient si désireux de rejoindre le mouvement? Pourquoi était-ce si facile de les intéresser?

NDB: Les Belgradois nous ont rejoints parce que ce n'est pas quelque chose de nouveau à Belgrade. C'est une crise des partis politiques traditionnels et de la représentation de la population par ceux-ci. Nous avons également développé une nouvelle approche à Belgrade vers une démocratie ascendante où les citoyens peuvent faire entendre leur voix. Cela a engendré de nouveaux thèmes qui sont des sujets brûlants à Belgrade en ce moment. Nous écoutons ce que les gens nous disent, et nous développons différentes méthodologies d'organisation des groupes locaux dans les municipalités. À partir de là, nous collectons les différentes idées et travaillons ensuite sur des problématiques spécifiques. Nous avons présenté un modèle amélioré du fonctionnement des communautés locales. Le processus décisionnel devrait commencer au niveau le plus bas et aller jusqu’à la municipalité et la ville, et non pas l’inverse.

Le fonctionnement de la politique est problématique dans l'ensemble des Balkans. Alors que le gouvernement ne voulait pas consulter les citoyens, nous l'avons fait, et c'était important pour la population.

DI : Le projet Front de mer est en cours, malgré l’importante opposition publique. Quel est la prochaine étape pour NDB ?

NDB: Avant 2012, le noyau d'organisateurs était impliqué dans diverses initiatives de moindre envergure concernant la scène culturelle indépendante de Belgrade, les clubs publics, ainsi que la protection des espaces verts dans la ville. Nous avons commencé par créer une coalition avec des personnes aux vues similaires et des initiatives pour plaider en faveur d'une mobilité urbaine plus durable, d’un plus grand nombre d'espaces publics permettant aux gens de se rencontrer et de se rassembler, et davantage de centres culturels. Nous avons également noué des liens avec différentes initiatives et groupes qui travaillaient dans le domaine du logement, par exemple pour la lutte contre l'expulsion des personnes de leurs maisons en raison de la dette liée au logement.

Nous continuons à élargir le spectre des problématiques dont nous nous saisissons. Nous avons commencé avec le projet Front de mer, mais progressivement cela est devenu un enjeu de transparence et de participation citoyenne dans le développement urbain. Le projet Front de mer n’était qu’un cas parmi d’autres pour montrer aux habitants comment notre ville pourrait être développée à l’avenir. Nous explorons quels sont les modèles selon lesquels une ville devrait fonctionner et se développer.

Nous entrons dans une période de développement futur de notre structure interne pour voir comment nous pouvons élargir nos sujets mais aussi élargir la territorialité. Nous prévoyons  actuellement la poursuite de la privatisation de tous les services à Belgrade au cours de l’année prochaine, des services publics communaux aux services municipaux. En ce sens, il y aura beaucoup de sujets à couvrir, mais pour moi il est très important de souligner qu'il s'agit aussi d'un processus d'éducation et d'émancipation de la population pour les années à venir.

Nous ne parlons pas seulement de l'année prochaine, nous nous battons pour les 10 ou 15 prochaines années afin de construire un groupe de citoyens qui deviendront actifs, questionnant les membres de leurs communautés. Ce qui m'intéresse actuellement c'est de présenter un plan, qui pourrait ne pas être orienté vers la situation actuelle ou même les prochaines années. Il s’agit plutôt de présenter une idée de ce à quoi pourrait ressembler l'inclusion des citoyens dans les 50-100 ans à venir. Je souhaite que nous devenions plus visionnaires, au lieu de réagir uniquement à ce qui se passe actuellement.

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