Article rédigé par
Daniela Vancic
European Policy and Advocacy Lead
Il n’y a pas de manière simple de le dire: si l’UE continue de stagner dans son élargissement, elle risque de prendre du retard géopolitique.
Dans un monde caractérisé par des frontières durcies, des alliances changeantes et un recul démocratique, l’Union européenne dispose encore d’un outil puissant pour façonner son avenir géopolitique: l’élargissement.
Trop souvent, l’expansion de l’UE est traitée comme un exercice technique: ouvrir un chapitre par-ci, clôturer une étape par-là. Mais les enjeux sont bien plus importants. L’élargissement ne consiste pas seulement à intégrer les Balkans occidentaux ou l’Ukraine. Il s’agit de savoir si l’UE peut être à la hauteur de son rôle de porte-drapeau mondial en matière de démocratie, de stabilité et d’État de droit.
L’élargissement est la boussole stratégique de l’UE. Accueillir des pays comme l’Ukraine, la Moldavie, la Géorgie et ceux des Balkans occidentaux est un choix stratégique. Il renforce l’Union de l’intérieur et réaffirme les valeurs fondatrices de l’UE. C’est un investissement dans un avenir partagé.
À une époque de montée de l’autoritarisme et de désinformation numérique, où la dynamique du pouvoir mondial évolue plus rapidement que Bruxelles ne peut rédiger des documents politiques, l’UE ne peut pas se permettre d’agir comme une forteresse d’hésitation. Cela doit devenir une force de connexion.
Une UE plus large signifie une Europe plus stable, s’étendant de Lisbonne à Kiev, de Tallinn à Skopje. Cela signifie davantage de marchés partagés, davantage d’alliés démocratiques et une plus grande légitimité sur la scène mondiale. Et surtout, cela signale aux jeunes générations, à l’intérieur et à l’extérieur de l’Union, que la démocratie n’est pas une relique du passé, mais un projet vivant pour lequel il vaut la peine de se battre.
L’élargissement est complexe, mais tout retard est dangereux
Personne ne sous-estime l’ampleur de la tâche. Les réformes de l’État de droit, les mesures anti-corruption, les droits des minorités, l’alignement économique: ce sont des réformes essentielles et difficiles. Mais voici la dure vérité: la géopolitique n’attend pas la clôture des chapitres sur l’adhésion.
Le Kremlin ne s’arrête pas à l’alignement réglementaire. Les régimes autoritaires ne respectent pas les délais procéduraux. Si l’UE veut rester un acteur mondial crédible et un modèle démocratique, elle doit accélérer dès maintenant une intégration significative, avant même d’obtenir l’adhésion à part entière.
Cinq façons de faire de l’élargissement une réalité avant l’adhésion
La bonne nouvelle? L’UE peut prendre des mesures immédiates, tangibles et relativement simples pour intégrer les pays candidats et démontrer que la porte est ouverte.
1. Itinérance gratuite pour tous. Permettre aux pays candidats d’accéder aux privilèges d’itinérance des données de l’UE apporterait un avantage direct et tangible aux citoyens. C’est un geste simple qui peut déjà être ressenti lors des prochaines vacances en Europe.
2. Accès ouvert aux programmes financés par l'UE. La jeunesse et la société civile sont le moteur du renouveau démocratique. Donner aux étudiants, aux jeunes professionnels et aux militants des pays candidats un accès complet à des programmes comme Erasmus+ et CERV renforce les valeurs européennes et contribue à façonner la prochaine génération d’Européens engagés.
3. Inviter des parlementaires nationaux en tant qu'observateurs au Parlement européen . L'intégration politique commence par la familiarité. Réunir des représentants élus des pays candidats dans la salle (littéralement) renforce l’alignement démocratique et la responsabilité mutuelle.
4. Intégration sectorielle dans le marché unique. Les pays candidats qui satisfont aux critères de réforme devraient être invités à s’intégrer progressivement dans des secteurs spécifiques tels que l’énergie, le numérique ou les transports. Cela crée des incitations économiques en faveur des réformes et un intérêt partagé pour la stabilité de l’UE.
5. Inclure les citoyens des pays candidats dans les processus participatifs à l'échelle de l'UE. Qu’il s’agisse de conférences sur l’avenir de l’Europe, de panels de citoyens européens ou de dialogues numériques, la participation devrait s’étendre au-delà des États membres actuels. Si nous voulons sérieusement co-créer l’avenir de l’Europe, les futurs citoyens doivent avoir une place à la table.
La génération qui regarde
Si l’UE n’agit pas, elle risque de s’aliéner toute une génération dans les pays candidats. Ce sont des jeunes qui ont grandi en croyant au rêve européen. Beaucoup continuent de manifester, de s’organiser et de voter en son nom. Si cette conviction se heurte à un retard bureaucratique, l’UE risque non seulement de perdre leur confiance, mais elle risque également de perdre complètement son adhésion future.
Dans le même temps, les jeunes de l’UE ont besoin d’une raison de croire que l’Europe compte toujours. L’élargissement, bien réalisé, offre un sens renouvelé de la mission: une Europe qui ne se développe pas par la force, mais par les valeurs. Une Europe qui ouvre ses portes à ceux qui défendent la démocratie – parce que la démocratie, par nature, doit s’étendre pour survivre.
L’UE a autant besoin de l’élargissement que les pays candidats ont besoin de l’UE
L'élargissement doit rester ancré dans les valeurs démocratiques et s'accompagner d'un courage politique, de délais clairs et de progrès visibles.
Parce que si l’UE n’offre pas un avenir crédible, quelqu’un d’autre proposera une alternative: une alternative sans droits, sans responsabilité et sans liberté.
La prochaine phase du projet européen ne sera pas définie par des slogans ou des déclarations au sommet. Il sera défini par l'action. L’élargissement n’est plus une question de savoir si. Il s’agit de savoir quand – et, plus urgent encore, dans combien de temps.
Le moment est venu d’agir. Pas lors d'un autre sommet. Pas dans une autre décennie.