Article rédigé par
Josephine Schnee
Project officer
L'Équateur a voté. Les gens ont parlé. Mais le gouvernement piétine.
En août 2023, les Équatoriens sont entrés dans l’histoire. Lors d’un référendum national, près de 60 % des électeurs ont approuvé une mesure juridiquement contraignante visant à mettre fin aux forages pétroliers dans le bloc 43 du parc national Yasuní, l’une des régions les plus riches en biodiversité du monde et abritant des peuples autochtones vivant en isolement (IPI).
Le mouvement YASunidos, soutenu par les communautés autochtones, les groupes environnementaux et la société civile, s'est battu sans relâche pour le droit de décider de l'avenir de Yasuní. Le résultat n’était pas seulement une déclaration politique: c’était un acte de démocratie directe garanti par la Constitution. Le référendum a été organisé en vertu de l’article 104 de la Constitution équatorienne, qui accorde aux citoyens le droit de demander un vote national sur des questions d’intérêt fondamental.
Le résultat était clair: laisser le pétrole dans le sol, protéger la nature et défendre les droits des peuples autochtones. Ce fut un moment historique tant pour la protection de l’environnement que pour la démocratie directe.
Mais plus d’un an plus tard, cette décision démocratique n’a pas été honorée.
Malgré l'obligation constitutionnelle claire de mettre en œuvre le vote dans un délai d'un an, le gouvernement n'a pris aucune mesure significative. Il n’y a toujours pas de plan de retrait, pas de budget, pas de calendrier. La compagnie pétrolière d’État, Petroecuador, non seulement n’a pas respecté ses propres délais (déjà prolongés), mais a également cessé de communiquer des données transparentes sur la production pétrolière du bloc 43, dissimulant ainsi l’étendue de l’extraction en cours.
Au lieu de fermer les puits comme ordonné, la société affirme désormais que le processus prendra cinq ans, mais elle a déjà raté sa première étape interne. Un seul puits, symboliquement, a été fermé le jour anniversaire du référendum. De plus, en décembre 2023, Petroecuador a fusionné les chiffres de production du bloc 43 avec ceux des champs voisins, ne permettant pas de vérifier si de réels progrès ont été réalisés.
Il ne s’agit pas simplement d’un retard politique. Il s’agit d’un défi direct à la démocratie constitutionnelle et à l’État de droit.
La Cour interaméricaine des droits de l'homme (CIDH) a rendu un arrêt historique. Elle a estimé que l'État équatorien avait violé les droits des peuples Tagaeri et Taromenane, notamment en autorisant les activités extractives dans les zones protégées de leur territoire.
Surtout, la CIDH a fait explicitement référence au référendum de 2023 :
« L’État équatorien est tenu d’exécuter sans délai le mandat populaire ordonnant la cessation de l’exploitation pétrolière du bloc 43. »
Cette décision, communiquée publiquement en mars 2025, fait suite à une affaire formelle portée par YASunidos et la Confédération des nationalités autochtones de l'Équateur (CONAIE). Cela confirme que l’État n’a pas réussi à protéger les peuples autochtones dans leur isolement.
Le paragraphe 504 de la décision crée un puissant précédent en réaffirmant que les mandats démocratiques, en particulier ceux qui protègent les droits autochtones et environnementaux, sont juridiquement contraignants et doivent être respectés sans délai.
Le jugement a également réaffirmé l’importance du principe de « non-contact » pour les peuples autochtones vivant dans l’isolement. Ce principe, ancré dans la Constitution équatorienne et dans le droit international des droits de l’homme, protège le droit de ces communautés de vivre en paix, sur leurs terres et sans ingérence extérieure. Leur territoire est légalement reconnu comme ancestral, irréductible et intangible – et doit être traité comme tel.
Ce moment compte bien au-delà de l’Équateur.
Le référendum de Yasuní est devenu une référence mondiale sur la manière dont la démocratie directe moderne peut façonner la politique climatique à partir de la base. Mais la force de la démocratie directe ne réside pas seulement dans le droit de voter lors d’un référendum: elle dépend de la pleine mise en œuvre de ce que décide le peuple.
Lorsque les gouvernements ne parviennent pas à donner suite aux résultats d’un référendum juridiquement contraignant, cela envoie un message dangereux: les mécanismes démocratiques peuvent être ignorés et la voix des citoyens, même protégée par la Constitution, peut être ignorée.
Democracy International se tient aux côtés des citoyens équatoriens, du mouvement YASunidos et des communautés autochtones de Yasuní.
Dans notre série La vie de militant nous couvrons les histoires de militants qui utilisent les outils démocratiques à leur disposition pour agir et avoir un impact direct sur les questions qui comptent le plus.
Le référendum Yasuní en est un exemple: il s’agit d’une preuve évidente que lorsque les gens parlent, leur voix doit être entendue. Lorsque les citoyens votent, les gouvernements doivent les écouter. Rien de moins est un échec de la démocratie.